L’explosion et le début de la reconnaissance
Vivre la guerre et subir le racisme au quotidien, forcément ça forge un mental d’acier. Et dieu sait qu’il en faut dans le monde de la boxe. Les années 1919-1923 constituent le point d’orgue de la carrière de l’enfant de Saint-Louis. Les chiffres parlent d’eux même. 46 rencontres, 43 victoires, 2 nuls, 1 défaite. C’est colossal. A tel point que François Deschamps remarque ses performances. Un tournant. Mais qui est François Deschamps? Non, rien à voir avec Didier. François n’est autre que le manager de Georges Carpentier : Le boxeur français star de l’époque. Champion du monde des mi-lourds, il est l’ambassadeur mondial du charme à la française. Toutes les filles sont en total kif sur lui. Une icône nationale! Bref, François Deschamps assiste à un combat de « Siki » (contre le français Marcel Nilles). Résultat? il le juge assez bon pour affronter son poulain, mais pas assez pour espérer le battre. En gros, le manager de Carpentier veut faire de « Siki » un faire-valoir. Mauvaise pioche…
Carpentier-Siki : Un duel de légende
40000 spectateurs. Le stade Buffalo de Montrouge est plein à craquer. Tous attendent que Georges Carpentier, leur héros, assène une raclée à ce « nègre » alors quasi inconnu du grand public. Le début de ce championnat du monde est à sens unique. François Deschamps est aux anges. Le grand Georges fout littéralement la misère à « Siki ». Il le propulse deux fois au tapis les deux premiers rounds et selon la légende, lui lance ce fameux « Dépêchons-nous donc, il va pleuvoir! » Conséquence, le chouchou des français chope le boulard (et même la boule à facettes!!) et cet excès de confiance le conduira à sa perte. Dès le troisième round, le « pestiféré » riposte et reprend du poil de la bête. Mieux, il met à son tour au tapis Carpentier devant un public médusé. « Vous ne frappez pas très fort monsieur Georges » Le soi-disant faire-valoir se met à chambrer copieusement. Et l’idole ne parvient pas à avoir ce sursaut d’orgueil supplémentaire. Pire, il coule. Au 6ème round, d’un uppercut du droit, « Battling Siki » le met définitivement K.O. Fin du match et victoire adjugé pour…CARPENTIER! Quoi?!! C’est un scandale?!! L’arbitre disqualifie « Battling Siki » qui a pourtant nettement gagné. La raison de cette décision est obscure. Le public ne comprend pas non plus ce revirement de situation. Ce n’est plus une question de noir ou de blanc. Les spectateurs sont indignés…et demandent avec virulence à l’arbitre de revenir sur sa décision. Ce qu’il fait finalement 20 minutes plus tard. La justice l’emporte et « Siki » devient le premier africain à porter la ceinture de champion du monde (il devient aussi champion de France et champion d’Europe du même coup). Il n’est que le deuxième boxeur de peau noire après Jack Johnson (afro-américain) en 1910 à être sur le toit du monde. Un exploit retentissant. Les passionnés de boxe ne s’y trompent pas. Un attroupement a même lieu suite à une de ces apparitions dans la capitale parisienne. Problème? Cette popularité soudaine se retourne contre lui. Et les ennuis commencent pour « Battling Siki »…
Un tapage médiatique
Reconnaître le succès d’un noir, c’est trop demander pour les journalistes de l’époque. Au lieu de tisser des lauriers à son champion du monde, ils décident de réduire en cendres son exploit. Et ce, de plusieurs manières. Premièrement, les articles à sa gloire sont une denrée rare, voire introuvable. On minimise au maximum la portée de sa victoire, certains parlant même de « match truqué » (François Deschamps fait même appel quatre jours plus tard, sans succès). De plus, ses frasques font les choux gras de la presse. On pointe le doigt sur sa vie de « débauchard ». Alcool à gogo, bagarres à foison, style vestimentaire « m’as-tu vu », coureur de jupons (les femmes blanches qui plus est), il n’est pas épargné par les journalistes de l’époque qui s’appuient, pour que la coupe soit pleine, sur un racisme totalement inapproprié. Tour à tour surnommé « Championzée » ou « l’enfant de la jungle », son manager n’est pas en reste en déclarant cette phrase lourde de sens : « Siki a du singe en lui ». A ce racisme ambiant, notre acolyte répond la main sur le cœur : « Beaucoup de journalistes ont écrit que j’avais un style issu de la jungle, que j’étais un chimpanzé à qui on avait appris à porter des gants. Ce genre de commentaires me font mal. J’ai toujours vécu dans de grandes villes. Je n’ai jamais vu la jungle ». Cette citation résume parfaitement l’état d’esprit discriminatoire de l’époque…
Destitué, oublié, assassiné
Plus que son hygiène de vie contestable, ce lynchage médiatique (si l’on peut parler de « média » à cette époque…) a anéanti le champion du monde. Quelques mois plus tard, « Siki » perd, la faute à un « arbitrage maison », son titre suprême (contre l’irlandais McTigue le jour de la Saint-Patrick), puis ses titres de champion de France et d’Europe (contre son compatriote Emile Morelle par disqualification). Malgré quelques victoires par K.O., et alors qu’il s’est expatrié aux States, il perd de nombreuses fois, notamment son dernier combat en 1925 (contre l’américain Paul Berlenbach). le « Battling Siki » quasi invincible est désormais loin. Pire, il crée l’indifférence, on ne parle plus de lui désormais. Il décède sauvagement le 15 décembre 1925 à New-York, au pied d’un immeuble de la 41ème rue, le corps criblé de balles. Surement la conséquence d’un règlement de compte, il est enterré à Harlem. Sa mort est à la hauteur de sa vie : tragique.
© Les Chroniques d’Alex