Ancien président de l’Olympique de Marseille (2005-2009) et consultant football sur Canal+ Afrique, Pape Diouf évoque, dans la première partie de cet entretien exclusif, l’équipe nationale du Sénégal. Il juge le bilan des Lions de la Téranga, revient sur les critiques formulées sur le jeu mais aussi sur le choix de l’Azerbaïdjan et du Luxembourg, prochains adversaires des Sénégalais jugés relativement faibles. Entretien.
16 ans après, le Sénégal a obtenu sa qualification pour la Coupe du monde, la seconde de son histoire. Quel bilan faites-vous après les éliminatoires ?
Le bilan est plutôt largement positif. C’est la première fois que, sous la férule d’un sélectionneur, en l’occurrence Aliou Cissé, le Sénégal n’a pas perdu un seul match officiel. Donc nous pouvons applaudir à ce parcours et puis le féliciter de cette qualification, qui va faire au peuple sénégalais de bons souvenirs. Elle laisse aussi aux joueurs la possibilité d’écrire leur propre histoire après 2002. Nous nous en réjouissons et nous espérons que les résultats seront à la hauteur des attentes.
Durant les qualifications, beaucoup de critiques ont été émises sur l’animation offensive, le manque de fluidité, notamment. Etes-vous du même avis ?
Ce genre de critiques me laisse de marbre. Je les trouve tellement désuètes que je préfère parfois ne pas les commenter. Je pense que ceux qui critiquent seraient ravis qu’en jouant de la sorte le Sénégal gagne un trophée. Un match de football reste un match de football. L’équipe qui gagne peut toujours être sujette à critiques. Critiquer une équipe qui n’a perdu aucun match, cela me semble un peu grossier. Je ne suivrai pas ce mouvement-là.
Mais ne pensez-vous pas quand même qu’il y a des domaines qui devraient être améliorés dans l’optique de faire une très bonne Coupe du monde ?
De toute façon, il y a toujours matière à améliorer. Que ce soit l’équipe du Sénégal, le Barça, l’équipe d’Espagne ou l’équipe de France. Une équipe n’est jamais au top à 100%. Cette amélioration ne concerne pas seulement l’équipe nationale du Sénégal, elle concerne également les adversaires. Cela devient donc relatif. Je pense que le plus important est de réussir les échéances.
Il y a forcément un secteur dans lequel le Sénégal doit s’améliorer…
Nous pouvons nous améliorer dans plusieurs domaines : sur le plan technique, tactique, physique… Il est toujours possible d’améliorer ce qui existe déjà. En ce qui me concerne, je n’ai pas de leçons à donner aux techniciens ou au sélectionneur. Je pense qu’Aliou Cissé, qui vit avec les joueurs au jour le jour quand ils sont là, qui les voit à l’entrainement, qui les pèse et les sous-pèse, est le mieux placé pour savoir dans quel domaine il doit améliorer son équipe. Y en a qui parlent de fluidité. D’autres d’audace offensive. Ce ne sont que des mots. La seule chose qui m’intéresse et que je vois, c’est que l’équipe du Sénégal ne perd pas et est qualifiée à la Coupe du monde. A la Coupe d’Afrique des nations, nous n’avons pas gagné, mais nous n’avons pas non plus perdu. Nous avons perdu que sur tirs au but. Je pense que le Sénégal vit une période relativement bonne.
« Il n’y a pas un seul Sénégalais plus désireux qu’Aliou Cissé de gagner »
Vous ne voulez peut-être pas l’aborder, mais nous avons récemment vu Aliou Cissé mettre un latéral droit à gauche alors qu’il avait à sa disposition deux latéraux gauchers. Comment expliquez-vous cela ?
C’est un problème que vous pouvez soulever, que d’autres soulèvent, mais que je ne soulèverai pas. Je ne sais pas si en recherchant cet équilibre nous n’allons pas trouver un autre déséquilibre ailleurs. Je pars du principe qu’il n’y a pas un seul Sénégalais plus désireux qu’Aliou Cissé de gagner. Je sais qu’il a le sens du métier, qu’il réfléchit beaucoup sur ce qu’il fait. Je sais qu’il connait les joueurs auxquels il fait appel. Je ne vais pas lui dire ce qu’il convient de faire. Je le juge plus à l’aune des résultats et non pas à la manière dont certains parlent. C’est une manière de voir les choses qui n’est pas la mienne. Seuls les résultats m’importent.
Parlons de Sadio Mané dont les attentes sont grandes autour de lui. Le Sénégalais brille à Liverpool où il est habitué à jouer à gauche. En équipe nationale, il a du mal à rééditer ses performances car il joue à droite. Est-ce que ce n’est pas dû à un problème de positionnement ?
Je ne sais pas à quoi c’est lié. C’est sûr qu’il est plus brillant à Liverpool qu’en équipe nationale. Les grands joueurs ont suffisamment de caractère pour parler à leur entraineur et se placer dans la meilleure position où ils doivent être. C’était vrai à l’époque pour Pelé, Maradona, Platini… Je pense que si Sadio Mané doit définitivement acquérir la stature de joueur international, il doit suffisamment avoir la personnalité pour parler à son coach et à ses coéquipiers pour se placer dans les meilleures conditions.
Le Sénégal fait partie du groupe H avec la Pologne, la Colombie et le Japon. A chaud, quelle a été votre réaction ?
Le Sénégal a autant de chances que les autres. Si nous, les Sénégalais, pensons que le tirage nous a été relativement favorable, les autres aussi pensent la même chose. C’est vrai que c’est une poule relativement équilibrée où tout reste jouable. N’importe quel adversaire peut sortir. C’est pour le moment un peu la bouteille à l’encre. Mais il y a eu des adversaires qui auraient été beaucoup plus difficiles à manœuvrer. Mais je le répète, ces trois-là vont aussi penser qu’ils ont fait un bon tirage.
Et parmi ces trois adversaires, lequel vous semble le plus coriace ?
La Colombie a son buteur (Falcao, ndlr). La Pologne en a également un (Lewandowski, ndlr). Le Japon, depuis quelques moments, est un habitué des grandes compétitions. Je ne pense pas qu’il y en ait un de plus facile. De toute façon, si nous en trouvons un de plus abordable, et que les deux autres ne sont pas faciles, nous ne nous qualifierons pas. C’est un groupe homogène où chaque équipe peut penser avoir fait un tirage jouable. Pour le moment, c’est compliqué de sortir deux nations de cette poule.
« Aucune chance d’être à la tête de la Fédération sénégalaise de football »
En tenant en compte de tous les paramètres (logistiques, conditions de la délégation), que faudrait-il pour réussir un bon mondial ?
Réussir un bon mondial suppose effectivement une bonne préparation, une bonne appréhension de la compétition. Il y a des critères, en règle générale, que nous retenons : s’acclimater comme il convient, trouver les adversaires qu’il faut pour avoir la compétition, placer les joueurs dans de meilleures conditions. C’est ce qu’on dit habituellement. Mais vous savez, en 1992, le Danemark a gagné l’Euro alors que c’était une équipe qui n’était pourtant pas prévue. Les joueurs ont été trouvés sur des plages de vacances et ont été réunis à la va-vite. Ils ont fini par gagner l’Euro. Où est la vérité dans ces genres de situation ? Nous ne savons pas la vérité dans tout ça. Pour gagner, il faut beaucoup de réussite, d’abnégation, de volonté.
Vous avez évoqué les adversaires. En vue des matchs amicaux, certains comme le Luxembourg et Azerbaïdjan ont été jugés relativement faibles et remis en cause. Que répondez-vous à cela ?
Si le Sénégal avait choisi l’Allemagne et le Brésil, est-ce que vous pensez qu’il serait qualifié ou gagnerait la Coupe du monde ? Personne ne le sait. Aujourd’hui pourquoi pense-t-on que si le Sénégal choisit des adversaires supposés faibles se prépare mal ? le Brésil de 1970 a gagné la Coupe du monde sans jamais avoir rencontré un adversaire de taille. C’est ce que je reproche aux critiques, aux commentaires faciles. En football, il n’y a pas de vérité catégorique. On ne sait absolument rien. C’est facile de juger. Après un match tout le monde peut être consultant, peut parler. Avant un match, chacun peut mettre le pronostic qu’il veut. Personnellement, je ne sais pas si ce sont des adversaires qui conviennent aux Sénégalais. Certains vous diront que c’est un niveau relativement moyen qui va redonner confiance aux joueurs. D’autres affirmeront qu’il faut des adversaires plus coriaces. Si vous vous inclinez, vous pouvez perdre confiance. C’est très compliqué.
Est-ce qu’on pourrait vous voir un jour à la tête de la Fédération sénégalaise de football (FSF) ?
Non, aucune chance. Je ne pense pas du tout. Je regarde tout ça avec beaucoup d’attention. Je dirais juste que je suis un observateur engagé, mais pas au point de prétendre à la fédération ou à un quelconque poste officiel.
Source : SunuFootball