Inauguré en grande pompe en février 2022, le stade Abdoulaye-Wade de Diamniadio devait symboliser la nouvelle ère des infrastructures sportives au Sénégal. Trois ans plus tard, l’imposante enceinte de 50 000 places s’impose autant par sa modernité que par les débats qu’elle suscite. Son coût d’entretien, sa faible rentabilité et les différends qu’elle engendre entre la SOGIP et les fédérations sportives remettent en lumière une question centrale : le Sénégal peut-il entretenir durablement un stade de ce standing ?
Un coût d’entretien colossal pour un stade sous-utilisé
« Si le stade a coûté cher, il est normal que l’entretien coûte cher. Rien que le nettoiement, sans parler de l’électricité ou de la climatisation, nous coûte 132 millions par an », affirme Dame Mbodji, Directeur général de la SOGIP (Société de gestion des infrastructures publiques des pôles urbains de Diamniadio et du Lac Rose).
Sur la table du gestionnaire, s’accumulent les factures des prestataires. « C’est ma responsabilité de les payer pour entretenir l’infrastructure », précise-t-il.
Les chiffres donnent la mesure du défi : selon les prévisions évoquées par son prédécesseur Gallo Ba, l’entretien du stade Abdoulaye-Wade devrait tourner autour de 800 millions de FCFA par an. Une somme que ni la billetterie, ni les rares événements organisés à Diamniadio ne suffisent à couvrir.
“Le stade ne nous rapporte rien”
Le directeur de la SOGIP est catégorique. « Nous accompagnons les fédérations comme nous pouvons. Mais si elles ne nous paient pas, comment allons-nous faire pour l’entretien ? Le stade ne nous rapporte rien. Si on enlève les charges, il est déficitaire pour nous. ». Cette situation pèse lourdement sur les finances de la société publique. Selon Dame Mbodji, ce sont les autres infrastructures gérées par la SOGIP, comme le Dakar Arena ou d’autres sites à Diamniadio, qui permettent de maintenir le stade à flot. « C’est le fonctionnement de nos autres sites qui nous permet aujourd’hui d’entretenir le stade Abdoulaye-Wade », confie-t-il.
Mais là encore, la rentabilité reste relative. « Dakar Arena (qui est plus rentable que le stade de football selon lui) n’est pas notre produit le plus rentable, même si des progrès ont été faits. Elle vient seulement en troisième position. « Depuis trois ans, le tarif de location du stade est le même (NDLR : fixé à 35 millions de FCFA) ». Une stabilité qui, selon la SOGIP, ne reflète pas la hausse des coûts d’entretien et des charges énergétiques. Pendant ce temps, l’État du Sénégal continue de rembourser la dette contractée pour la construction du stade, un investissement estimé à 156 milliards de FCFA a-t-il tenu à préciser dans sa déclaration ce mercredi.
FSF-SOGIP : la dette qui fâche
Le différend récent entre la Fédération Sénégalaise de Football (FSF) et la SOGIP trouve son origine dans une dette accumulée par la Fédération envers la société gestionnaire.
La FSF a d’ailleurs reconnu que cette dette a influé sur la hausse de la billetterie des matchs de l’équipe nationale, une décision impopulaire chez les supporters.
Dame Mbodji confirme la situation. « Depuis trois ans, la grille tarifaire n’a pas bougé. Mais si la Fédération ne règle pas ses dettes, il devient difficile de maintenir l’infrastructure. » Ce bras de fer entre la FSF et la SOGIP rappelle d’autres différends survenus ces dernières années avec d’autres fédérations sportives.
En 2022, la Fédération Sénégalaise de Basket-Ball (FSBB) s’était heurtée à la SOGIP à propos des coûts de location du Dakar Arena. La mise en location de la salle était alors fixée à 1,6 million de FCFA, un montant jugé excessif pour la préparation des Lions du basket avant que le problème ne soit réglé. Même plainte du côté de l’AS Douanes, lors d’une campagne de la Basketball Africa League (BAL), qui dénonçait un coût trop élevé pour les séances d’entraînement. Ce schéma se répète : les fédérations veulent utiliser les infrastructures nationales mais peinent à supporter leurs coûts réels de fonctionnement.
Un stade qui peine à se remplir, entre prestige et réalisme économique
Au-delà du coût, un autre facteur accentue le déficit : le stade de Diamniadio peine à faire le plein. Depuis le légendaire Sénégal–Égypte de 2022, les tribunes ne se sont plus remplies de la même manière.
En cause : l’éloignement du site, les difficultés d’accès et le coût du transport pour les supporters venant de Dakar. La FSF le reconnaît : « En jouant à Diamniadio, nous ne gagnons pas en termes de recettes. » Le Stade Abdoulaye-Wade reste une fierté nationale. Il répond aux normes internationales, accueille les grandes compétitions et symbolise le dynamisme du Sénégal dans la modernisation de ses infrastructures. Mais derrière le prestige, la réalité économique s’impose : une infrastructure de ce niveau nécessite une stratégie de gestion pérenne, au-delà du seul calendrier de l’équipe nationale. La SOGIP en est consciente. « Le football seul ne peut pas rentabiliser le stade Abdoulaye-Wade. Nous voulons activer davantage notre statut de gestionnaire d’infrastructures événementielles, pas seulement sportives. » Concerts, salons, conférences, événements culturels ou institutionnels : la SOGIP veut élargir l’usage du stade pour alléger la facture publique et éviter qu’il ne devienne un “éléphant blanc”.
Un modèle à réinventer, un symbole à préserver
Le cas du stade Abdoulaye-Wade révèle les limites d’un modèle de gestion encore dépendant de l’État. Subventionné, peu rentable, difficile d’accès et sous-exploité, il pose une question plus large : comment faire vivre durablement des infrastructures publiques de niveau international dans un contexte où les fédérations elles-mêmes manquent de moyens ?
À court terme, la tension entre la FSF et la SOGIP risque de se répéter. À long terme, c’est une réflexion nationale sur la gouvernance, la diversification des revenus et la mutualisation des espaces sportifs qui s’impose.
Le Stade Abdoulaye-Wade n’est pas seulement un lieu de sport, c’est un symbole de fierté et de modernité. Mais sans un modèle économique clair, ce joyau risque de devenir un poids financier pour l’État et un casse-tête pour ses gestionnaires. L’enjeu dépasse donc le football : il s’agit de repenser la manière dont le Sénégal gère, finance et valorise ses grandes infrastructures publiques.
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