L’affaire de dopage et de corruption au sein de l’athlétisme russe et de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) prend une tournure très politique. On connaissait l’implication de hauts responsables au sein du sport russe, mais on ignorait que l’argent versé par les athlètes russes était en grande partie censé servir à la carrière politique de Lamine Diack, l’ancien président de l’IAAF.
Selon nos informations, Diack a en effet très sérieusement envisagé de se présenter aux élections présidentielles sénégalaises de 2012 et aurait sollicité ses amitiés russes pour financer sa campagne électorale.
« Je vous ai dit qu’il fallait à cette période gagner la “bataille de Dakar”, c’est-à-direrenverser le pouvoir en place dans mon pays, le Sénégal », explique-t-il aux enquêteurs de l’Office central de lutte contre les infractions financières et fiscales, dans une allusion aux élections présidentielle et législatives, en février et juillet 2012.
« Il fallait pour cela financer notamment le déplacement des jeunes afin de battre campagne, sensibiliser les gens à la citoyenneté. (…) J’avais donc besoin de financements pour louer les véhicules, des salles de meetings, pour fabriquer des tracts dans tous les villages et tous les quartiers de la ville. M. Balakhnichev [président de l’ARAF, la Fédération russe d’athlétisme] faisait partie de l’équipe Poutine et à ce moment il y avait ces problèmes de suspension des athlètes russes à quelques mois des championnats du monde en Russie. Nous nous sommes entendus, la Russie a financé. C’est Balakhnichev qui a organisé tout ça. Papa Massata Diack [l’un des fils de Lamine Diack] s’est occupé du financement avec Balakhnichev. »
Selon M.Diack, il n’y avait « aucun accord écrit » entre lui et Valentin Balakhnichev. « Quand j’ai sollicité une aide de la part de Balakhnichev, ajoute M. Diack, je lui ai dit que pour gagner les élections, il me faudrait environ 1,5 million d’euros. » « Quelle a été sa réaction ? », demandent les enquêteurs de l’OCLCIFF.« Il (Balakhnichev) m’a dit : “On va essayer de les trouver, il n’y a pas de problème” », répond Lamine Diack.
L’ancien spécialiste de la longueur a finalement renoncé à effectuer le grand saut mais gardé l’argent, qui aurait atterri sur des comptes à Singapour via une société fictive, Black Tidings, contrôlée par son fils, Papa Massata Diack, par ailleurs conseiller de la fédération internationale.
Lamine Diack et son fils auraient proposé aux athlètes russes contrôlés positif de retarder ou d'étouffer leur dossier contre de fortes sommes d'argent
L’ancien patron de l’athlétisme mondial, son fils et son conseiller, Habib Cissé, ont été mis en examen pour corruption passive et blanchiment aggravé par le juge Van Ruymbeke en novembre. Ils auraient proposé aux athlètes russes contrôlés positif de retarder ou d’étouffer leur dossier contre de fortes sommes d’argent. Le système mis au point au sein de l’IAAF permettait à ces athlètes de disputer les Jeux Olympiques de Londres, en 2012, alors qu’ils auraient dû être suspendus par leur fédération sur demande de la fédération internationale.
La commission indépendante diligentée par l’AMA et dirigée par son ancien président, le Canadien Richard Pound, doit rendre publique en janvier la seconde partie de son rapport, traitant justement de la corruption.
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